Anna Diederik

À propos de Futurologie de la Coopération

Tout ce que vous trouverez dans ce Grimoire est issu d'expériences menées à l'occasion d'une recherche La Futurologie de la Coopération.

Il y a plusieurs années, en lisant des romans d'Ursula K. Le Guin, nous avons découvert une science-fiction libérée des vaisseaux spatiaux, des extraterrestres et des pistolets lasers. Le genre s'est révélé à nous comme un lieu où se développent des alternatives, où d'autres manières d'être ensemble peuvent être interrogées, et différentes sociétés imaginées.

Le Guin a dit un jour : Nous vivons dans le capitalisme. Son pouvoir semble incontournable. Mais ainsi en était-il du droit divin des rois aussi. Cette simple pensée semblait tellement plus puissante que l'argument qui tue selon lequel il est plus facile d'imaginer la fin du monde que d'imaginer la fin du capitalisme.

Dans "Le réalisme capitaliste", Mark Fisher pointe une crise de l'imagination. Selon lui depuis les années 80 et la très forte offensive libérale, notre imagination a été comprimée et limitée par la manière dont le capitalisme opère sur notre psyché. Les années 1960 et 1970 portaient un état d'esprit social et culturel qui favorisait une réalité meuble comme une matière possible à modeler et alimentait la recherche active de nouveaux modes de vie et de nouvelles règles de société. Mais cette plasticité a été gelée par les politiques d'austérité, et nos esprits et nos espoirs enfermés dans le mantra éternel selon lequel « il n'y a pas d'alternative ». L'espace pour l'imagination s'est dégonflé et la réalité est passée de quelque chose d'adaptable à quelque chose auquel nous devons nous adapter.

Ces dernières années, nous sommes ballotés entre l'euphorie des prises de consciences collectives et des percées de justice et la tristesse absolue face à l'ampleur historique du désastre en expansion.

De quelles formes sont nos peurs et nos zones de lumière ? Face au pire, en toute humilité mais sans gêne, nous voulons continuer à apprendre à faire autrement, à changer de perspective, de goût, d'identité. Nous voulons pétrir nos quotidiens, nos petites et grandes vies et le faire à plusieurs.

Nous avons donc décidé d'organiser un camp d'entraînement pour notre imagination, afin de la muscler et redécouvrir la plasticité du réel.

Motivés par l' envie d'aiguiser notre appétence pour les possibleset les impossibles alternatifs et notre compétence à les imaginer, nous avons voulu doter notre imaginaire d'outils concrets et existants. Et puis aussi, nous avons voulu en inventer de nouveaux et les partager avec les autres.

Débarrassés d'une trop grande pudeur, nous avons simplement voulu apprendre à imaginer de nouvelles sociétés.

Concrètement, nous nous sommes mis à apprendre des techniques pour visiter d'autres mondes. Nous avons expérimenté des formes de coopération et transformé nos relations. Chemin faisant, nous nous sommes aperçus que la Futurologie telle qu'elle se pratique dans les cabinets politiques ou les grands groupes industriels, vise principalement à gérer les incertitudes et contôler les tendances et s'appuie sur des outils d'analyse du réel où les aspects sensibles, participatifs et performatifs sont limités.

Ainsi est née la Futurologie de la Coopération. Une trajectoire de recherche de trois années, avec les objectifs suivants :

Rendre la Futurologie et la prospective plus démocratiques, participatives et ergonomiques grâce à l'action artistique.
Expérimenter une forme d'intervention artistique soucieuse du réel, entre performance collective et curating de formations mutantes.

  • en n'étant dans une logique de partage et de co apprentissage
  • en expérimentant avec nos corps et nos émotions
  • en rejetant les séparations entre rationnel, imaginaire, absurde et sérieux.

Nous avons constitué une équipe et la trajectoire de recherche "La Futurologie de la Coopération" est née. Début 2019, nous avons invité Maja Kuzmanovic et Rasa Alksnyte de FoAM pour lancer la trajectoire. Elles nous ont transmis l'Art of Futuring et certains des outils et techniques de base du future-crafting. Nous avons également invité Emmanuelle Wattier et Martin Boutry, facilitateurs militants en intelligence collective, qui ont partagé quelques trucs du métier. Nous avons beaucoup appris et collecté.

Puis nous avons mixé, remixé et bidouillé ces techniques existantes issues des études prospectives et de l'intelligence collective, en les mélangeons avec de la magie, de l'écriture créative, des jeux de conversations, de la marche. Ces tours et sortilèges sont pour vous. Ils sont à expérimenter, à bricoler comme on dit...

*Partager une expérience, la souhaiter à d’autres. Multiplier plutôt que répliquer. Favoriser une contamination agissante et régénératrice ; coaliser à partir d’une proposition poétique, politique. * écrit Delphine Gardey à propose de Donna Haraway.

De quoi, depuis ce monde parfois hostile et incapacitant, reprendre des forces, exercer notre liberté, glisser vers d'autres voies possible. Les yeux ouvert. Les yeux fermés. Les yeux ouverts. Les yeux fermés. Les yeux ouverts. Les yeux ouverts. Nous l'avons fait de la tête au pied, seuls ou à plusieurs et nous avons beaucoup ri.

Chemin faisant, nous avons croisé des foyers très actifs et très puissants. L'afrofuturisme nous a largement devancé en profondeur et en pratique, dans un continuum historique parallèle au temps oppressif et sélectif de l'Occident. Nous l'avons rencontré bien trop tard dans notre trajectoire mais il nous importe de vous désigner cette porte et de vous inviter à l'ouvrir en grand. L'ouvrir en petit nous a déjà révélé qu'il est plus pertinent de penser d'autres mondes ou d'autres peurs et d'autres zones de lumière en réunissant plusieurs générations, en n'écartant ni les enfants ni les personnes âgées. Ils sont les meilleurs voyageurs dans le temps. Nous vous conseillons aussi de côtoyer les fantômes : les fantômes du passé et les fantômes du futur car ils sont tous encore et déjà parmi nous. Aussi, l'afrofuturisme nous a rappelé avec force que l'oppression agit férocement sur la relation au temps. Simone de Beauvoir a écrit, à la fin de la guerre de 39-45, le jour de la libération de sa ville (Paris) : l'avenir nous a été rendu et nous nous y jetâmes. Un simple bail de logement précaire, un job précaire, une exploitation via des horaires abusifs, un arrachement brutal à une terre natale, des lieux familiers perdus à tout jamais : tous cela implique une relation singulière et fragile au futur et au temps. Notre relation au temps, au temps libre et à l'avenir est aussi une relation de pouvoir, d'historicité et de classe.

Enfin, cette recherche a été marquée par un magnifique voyage. Nous avons pris plus d'une journée pour rejoindre la Lettonie. Cette rencontre avec une autre culture que la nôtre, reliée à ses paysages autrement que nous autres, nous a donné aussi beaucoup de clés.

Il n'y a pas de devenir sans rencontre et le futur se fabrique aussi par nos attractions et nos amours.

Toast. A la Vodka brutale. Aux futurs imaginés qui se réalisent. A l'imprévisible.